Il y a 30 ans jour pour jour, Wall Street affrontait le pire krach de son histoire. Après une longue période d’euphorie, le Dow Jones et l’ensemble des marchés boursiers de la planète s’effondraient en une seule journée (-22,6% pour le premier, -46% à Hong Kong et -27% à Londres), pulvérisant tous les records de baisse enregistrés lors de la grande dépression de 1929.
Aujourd’hui, c’est un autre record auquel nous assistons. L’indice vedette américain a clôturé hier soir à 23.157,60 points, du jamais vu ! Et la bourse américaine n’est pas la seule à être à la fête, c’est aussi le cas de la bourse japonaise qui est à son plus haut depuis 21 ans.
Le Dow Jones a progressé de 13,6% depuis le début de l’année et de 19,2% depuis l’élection de Donald Trump le 9 novembre 2016. Par ailleurs, le cap des 22.000 points n’a été franchi qu’il y a 77 jours.
Jusqu’où cette tendance haussière peut-elle aller ? Nos analystes tentent d’esquisser quelques éléments de réponse.
Tout d’abord, on constate que la volatilité des marchés est extrêmement basse. Le Brexit, la crise avec Pyongyang, l’ouragan Irma, les attentats terroristes et dernièrement les tensions entre Trump et son secrétaire d’Etat, rien n’est susceptible d’ébranler les marchés. Ces derniers sont-ils devenus totalement insensibles ? C’est une question légitime que l’on peut se poser. En tous les cas, il s’agit d’une nouveauté qui contraste avec l’histoire (à titre d’exemples, l’attaque des Twin Towers avait fait chuter la bourse de près de 12% et l’intervention militaire en Syrie de 7.5%) et que les investisseurs doivent aujourd’hui prendre en compte. Il semble que les événements géopolitiques actuels, pourtant porteur de changements majeurs, n’aient aucune influence sur les marchés.
Au chapitre des bonnes nouvelles qui invitent à rester sur les marchés, on relève que la croissance américaine est au rendez-vous avec une nette amélioration des résultats des entreprises (en hausse de plus de 10% aux 1er et 2ème trimestres 2017), la faiblesse du dollar qui dope les exportations et le chômage qui est au plus bas des 10 dernières années. Les deux grandes banques, symboles de la finance américaine, Goldman Sachs et Morgan Stanley, ont d’ailleurs dévoilé cette semaine des bénéfices meilleurs que prévu au troisième trimestre. Même en Europe, la reprise est palpable.
Toutefois, la valorisation des marchés est historiquement élevée, pour ne pas dire aberrante. La faible volatilité ainsi que l’euphorie ambiante créent une situation pour le moins déconcertante et qui invite à la prudence.
Comme le veut l’adage « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel », il va inéluctablement se produire un retournement. Oui, mais quand et surtout quel sera l’événement déclencheur ?
L’échec de la réforme fiscale aux Etats-Unis pourrait être à l’origine d’un effet boule de neige, comme l’a laissé entendre hier le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin. Mais il ne faut pas s’y tromper, cette déclaration apparaît plus comme une manœuvre subtile de Donald Trump afin de mettre la pression sur les républicains pour qu’ils adoptent sa nouvelle loi plutôt qu’une réelle inquiétude.
Nous pensons en revanche que la situation actuelle présente des similitudes avec ce qui s’est passé en 1987. En effet, à l’époque, la panique générale avait été déclenchée par deux mauvaises nouvelles, alors même que la consommation était au beau fixe. D’abord, l’annonce d’un déficit américain plus important que prévu. Ensuite, un relèvement des taux allemands. Durant les mois qui ont précédé la crise, on avait assisté à une réallocation massive des investissements vers les obligations. Ce mouvement avait trouvé son origine dans la hausse des rendements des obligations, passés de 7,5% à 10% en l’espace de quelques mois.
Aujourd’hui, nous sommes dans une configuration similaire. Depuis 2012, les rendements des obligations sont si bas (voire négatifs en Suisse) que les investisseurs, y compris les institutionnels, se sont tournés massivement vers les actions, créant peut-être une bulle spéculative (comme le disait Alan Greenspan, on ne découvre véritablement l’existence d’une bulle que lorsqu’elle a implosé !).
Avec la sortie des politiques d’assouplissement (QE), cela va générer une hausse des taux d’intérêts et de facto un retour vers les obligations. Bien entendu, il y aura un décalage entre les régions, l’Europe étant en retard sur les Etats-Unis.
Les banques centrales seront ici décisives et surtout la communication en amont avec les marchés. Une hausse trop rapide des taux d’intérêts risquerait de provoquer un déséquilibre fâcheux. En l’état, l’absence d’inflation pousse les banques centrales à se montrer prudentes. Mais peut-on leur faire réellement confiance ? De l’aveu même de la Fed, elle navigue aujourd’hui dans le flou reconnaissant avoir mal jugé la force du marché du travail et les forces fondamentales qui guident l’inflation. De même, si krach financier il y a, il ne faudra pas compter sur les banques centrales pour venir éteindre l’incendie. Avec des taux aussi bas, elles n’ont aujourd’hui ni la capacité ni les moyens de réagir en cas de rupture brutale.
Par ailleurs, nous pensons que l’avènement des algorithmes et des Fintechs risque d’amplifier une éventuelle crise boursière. En effet, la gestion quantitative (par opposition à l’analyse fondamentale) sans intervention humaine, qui consiste à déceler à la milliseconde près la tendance du marché amplifie les mouvements de celui-ci.
Enfin, on observe un attrait des particuliers pour les marchés boursiers, ce qui n’est jamais un signe favorable. John Rockefeller le disait, « j’ai vendu toutes mes actions juste avant la crise de 1929 quand mon chauffeur m’avait demandé des conseils boursiers ».
En conclusion, nous préconisons la prudence même si en l’état, les investisseurs qui ne se sont pas démesurément préoccupés de la valorisation des marchés s’en sont bien mieux sortis que les inquiets.
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