Le 4 novembre 2015, le Conseil fédéral a adopté le message concernant la loi sur les services financiers (ci-après « LSFin ») et la loi sur les établissements financiers (ci-après « LEFin »).
Ce paquet législatif, s’il est adopté par le Parlement en 2016, engendrera des changements majeurs dans le paysage des services financiers en Suisse, notamment pour les gestionnaires de fortune et les trustees jusqu’ici soumis uniquement aux exigences relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Onyx & Cie SA vous présente les principales nouveautés de ces deux lois.
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1. La LEFin
La LEFin fixe les exigences d’ordre organisationnel et les règles de surveillance des établissements financiers (gestionnaires de fortune administrant des valeurs patrimoniales pour le compte de clients individuels, trustees, gestionnaires de fortune collective, directions de fonds et maisons de titres – anciens négociants en valeurs mobilières). Les banques, les institutions de prévoyance, les caisses de compensation et les assurances restent assujetties à leur législation spécifique (Loi sur les banques, Loi sur la surveillance des assurances, etc.) et ne tombent pas sous le coup de la nouvelle loi. Celle-ci ne s’applique pas non plus aux avocats agissant dans le cadre de leur activité traditionnelle soumise au secret professionnel.
« La mise en oeuvre des dispositions de la LEFin sera précisée par voie d’ordonnance. »
Tout établissement financier mentionné dans la loi devra dorénavant obtenir une autorisation de l’autorité de surveillance compétente pour exercer une activité financière. L’autorisation dépendra du type d’activité déployée.
La LEFin introduit un système d’agrément en cascade. La forme d’autorisation la plus élevée (par exemple celle bancaire) inclut en règle générale toutes les formes d’autorisation prévues pour des activités moins étendues.
La direction effective de l’établissement financier devra être en Suisse ce qui implique que les membres de la direction devront également avoir leur domicile dans ce pays ou dans un lieu proche qui leur permette d’exercer la gestion effective des affaires.
Bien entendu, comme pour les banques à l’heure actuelle, les personnes chargées de l’administration et de la gestion de l’établissement devront présenter toutes les garanties d’une activité irréprochable, jouir d’une bonne réputation et disposer des qualifications professionnelles requises par la fonction. Les détenteurs d’une participation qualifiée dans l’établissement financier (10% au moins du capital ou des votes) devront également jouir d’une bonne réputation et garantir que leur influence ne soit pas exercée au détriment d’une gestion saine et prudente de l’établissement.
« Les gestionnaires de fortune et les trustees seront dorénavant soumis à une surveillance prudentielle. »
Les établissements financiers devront en outre être affiliés, dès le commencement de leur activité, à un organe de médiation. Les gestionnaires de fortune et les trustees, qui pourront exercer leur activité sous la forme d’une entreprise individuelle, d’une société commerciale ou d’une société coopérative, devront disposer de garanties appropriées ou conclure une assurance en responsabilité civile professionnelle dont les montants minimums seront fixés par le Conseil fédéral.
Les établissements financiers étrangers devront également solliciter une autorisation pour ouvrir une succursale ou disposer d’une représentation en Suisse. La loi prévoit la possibilité d’une exigence de réciprocité avec les Etats dans lesquels l’établissement financier à son siège.
Les gestionnaires de fortune et les trustees seront soumis à la surveillance prudentielle d’un organisme d’autorégulation indépendant (la mise en place d’un organisme de surveillance semi-étatique, lui-même soumis à la FIMNA, s’inspire du modèle américain de la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA) ; cet organisme de surveillance sera habilité à délivrer des autorisations, à surveiller les assujettis et à prononcer des sanctions) alors que les gestionnaires de fortune collective (gestionnaires de placements collectifs de capitaux et gestionnaires de valeurs patrimoniales d’institutions suisses de prévoyance), les directions de fonds et les maisons de titres seront directement assujettis à la FINMA.
Un audit aura lieu annuellement mais des exceptions sont prévues pour les trustees et les gérants de fortune pouvant aller jusqu’à une fois tous les quatre ans en fonction de l’activité de l’assujetti et des risques correspondants. Un rapport sur la conformité des activités avec les prescriptions légales sera toutefois exigé durant les années auxquelles aucun audit n’a lieu.
A l’instar des articles 43 LBVM et 47 LB, l’article 65 P-LEFin prévoit une sanction pénale en cas de violation du secret professionnel.
Enfin, au chapitre des dispositions transitoires, les gestionnaires de fortune qui exercent, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, leur activité depuis 15 ans au moins et à la condition qu’ils n’acceptent pas de nouveaux clients sont exonérés d’autorisation. Les autres établissements existants ont l’obligation de s’annoncer à l’autorité de surveillance dans les six mois qui suivent l’entrée en vigueur de la loi et doivent satisfaire aux exigences de celle-ci et demander une autorisation dans les deux ans.
2. La LSFin
La LSFin règle les conditions régissant la fourniture de services financiers (par services financiers on entend l’achat et la vente d’instruments financiers, la réception et la transmission d’ordres, la gestion de valeurs patrimoniales, l’émission de recommandations personnelles et l’octroi de crédits pour exécuter des opérations sur instruments financiers) et l’offre d’instruments financiers.
Elle s’applique à tous les prestataires de services financiers, à leurs conseillers à la clientèle ainsi qu’aux producteurs et aux fournisseurs d’instruments financiers.
Les principales nouveautés sont les suivantes :
– Obligation de formation et de perfectionnement : la LSFin prévoit une obligation de formation et de perfectionnement pour les conseillers à la clientèle. Les exigences minimales seront fixées par la branche dans le cadre de l’autorégulation.
« Seules les personnes disposant d’une formation reconnue par la branche pourront être agréées en tant que conseillers à la clientèle. »
– Classification des clients : la LSFin classifie les clients en deux grandes catégories, les clients privés et les clients professionnels (intermédiaires financiers, banques centrales, assurances, institutions de prévoyance, entreprises disposant d’une trésorerie professionnelle, etc.), ces derniers comprenant un sous-groupe rassemblant les clients institutionnels. Ce système de classification est dynamique en ce sens que certains clients (par exemple les clients fortunés) ont la possibilité, à certaines conditions (notamment de qualifications techniques), de passer d’une catégorie à l’autre par le biais de l’opting-in ou de l’opting-out.
Les obligations des prestataires de services financiers dépendront de la catégorie de personnes visées et de ses besoins de protection. Ainsi, pour les clients professionnels, les prestataires pourront partir du principe qu’ils disposent des connaissances et de l’expérience requise s’agissant des services et des produits proposés. A noter qu’il n’y aura pas de restrictions quant au choix des produits financiers susceptibles d’être acquis sur le marché selon le type d’investisseur, seule l’étendue du devoir d’information du client variera.
– Obligation de clarification suivant un système modulaire : Les prestataires de services devront connaitre les besoins, les connaissances et l’expérience de leurs clients et vérifier le caractère approprié ou l’adéquation des investissements effectués.
L’étendue de cette vérification dépendra du type de services et de la catégorie du client : ainsi par exemple, dans le cadre d’un mandat « execution only » ou de transactions à la demande du client (reverse solicitation transactions), le prestataire n’aura pas à vérifier le caractère approprié de son conseil. Il devra en revanche informer le client qu’il n’effectue aucune vérification du caractère approprié ou de l’adéquation avant de fournir ses services.
Il en ira différemment dans le cadre d’un mandat de conseil en placement ou de gestion globale du portefeuille où le prestataire devra se renseigner tant sur l’expérience et les connaissances du client que sur ses objectifs de placement et sur sa situation financière et de vérifier l’adéquation de son conseil sur la base de ces renseignements, le tout accompagné d’une documentation adéquate.
De même, s’il propose à un client un conseil sur des transactions précises, il devra vérifier le caractère approprié de ce dernier en se fondant sur l’expérience et les connaissances du client. S’il juge la transaction inappropriée ou s’il ne peut pas procéder à la vérification faute d’informations, le prestataire devra en informer le client. Malgré cette mise en garde, le client sera cependant libre de bénéficier du conseil du prestataire et procéder à l’acquisition du titre. La gamme des services dont les clients pourront bénéficier ou que le prestataire de services financiers pourra proposer ne sera ainsi pas limitée.
« Les règles prudentielles s’appuient sur les prescriptions légales déjà en vigueur édictées par les associations professionnelles et les organismes d’autorégulation. »
– Autres obligations prudentielles : la LSFin fixe également d’autres règles prudentielles que les prestataires de services financiers devront observer notamment sur les conflits d’intérêts, le devoir d’information s’agissant des coûts et des risques des services financiers proposés (feuilles d’information, prospectus), l’obligation de remise de documents et de rendre des comptes (évolution de la valeur des instruments financiers), l’exécution des ordres des clients, l’égalité de traitement, l’obligation de disposer de prescriptions internes et d’une organisation adéquate ainsi que des règles sur les opérations personnelles des collaborateurs. Les mêmes normes de comportement s’appliqueront de manière uniforme pour les prestataires suisses et étrangers dès lors qu’ils seront actifs en Suisse.
On relèvera cependant que la plupart de ces règles ne font que reprendre la pratique actuelle des établissements financiers sérieux de même que les normes imposées par les Codes de déontologie des organismes d’autorégulation (ARIF, ASG, etc.) et des associations professionnelles (CFA, etc.).
Il est important de souligner également que les règles de comportement prudentielles prévues dans la LSFin n’interféreront pas directement dans la relation de droit privé entre les prestataires de services financiers et leurs clients. Il ne s’agit en effet pas de normes de droit mixte, mais de dispositions du droit public. Dans ce contexte, le juge civil continuera de statuer sur la relation de droit civil en se fondant sur les dispositions de droit privé, mais il pourra consulter les règles de comportement prudentielles de la LSFin pour préciser ces dispositions.
– Rémunérations de tiers : la LSFin prévoit une totale transparence concernant les rémunérations reçues de tiers et les autres avantages perçus (rétrocessions, commission de courtage, soft dollars). Il n’y a aucune interdiction générale ou partielle mais à l’instar de ce que prévoit déjà la jurisprudence, le client devra pouvoir se faire une idée au préalable de la rémunération totale reçue (type et ampleur) pour le service fourni.
– Registre des conseillers : les conseillers des prestataires de services financiers non assujettis à une surveillance prudentielle ainsi que ceux des prestataires étrangers qui ne disposent pas d’une succursale en Suisse ou qui ne sont pas soumis à une telle surveillance seront obligatoirement inscrit dans un registre des conseillers et devront apporter la preuve qu’ils remplissent les conditions de la loi (formation et perfectionnement, assurance en responsabilité civile professionnelle, affiliation à un organe de médiation, absence de condamnation pénale, etc.).
– Introduction d’une feuille d’information de base : une feuille d’information de base, succincte et facilement compréhensible, devra être gratuitement remise aux clients privés pour tous les instruments financiers, à l’exception des offres d’actions. La publicité pour un instrument financier devra être identifiable comme telle.
– Règlementation concernant les obligations en matière de prospectus : Des règles uniformes sont prévues en ce qui concerne l’obligation de publier un prospectus pour toutes les valeurs mobilières offertes au public ou négociées sur une plate-forme de négociation. Les nouvelles prescriptions concernant le prospectus sont conçues conformément au principe de proportionnalité avec d’importants allègements pour les PME.
– Enfin, le projet contient de nouvelles dispositions afin de règlementer l’activité de crowdfunding (financement participatif) et de crowdlending.
– A noter que le principe du renversement du fardeau de la preuve, du fonds pour les frais de procès et de la mise en place d’un tribunal arbitral, instruments très controversés lors de la consultation, sont abandonnés, les deux derniers en faveur d’une règlementation plus « modérée » sur les coûts dans le Code de procédure civil (principalement une exonération d’avance de frais et de sûretés pour les clients privés ; par ailleurs les prestataires devront supporter eux-mêmes les frais de procès, même en cas de gain de cause, dans certaines circonstances, notamment pour les litiges inférieurs à CHF 250’000 où une médiation a eu lieu). En revanche, les organes de médiation sont renforcées et tous les prestataires de services devront s’affilier à un tel organisme indépendant et impartial, dûment reconnu par l’Etat qui existe déjà ou qui devra être crée. Ils devront par ailleurs obligatoirement participer à la procédure en cas de requête du client et verser une contribution financière.
3. Approche critique
D’après le Conseil fédéral, l’adoption de la LSFin et de la LEFin permettra non seulement de renforcer la compétitivité de la place financière suisse mais surtout d’améliorer la protection des clients.
Onyx & Cie SA se permet s’exprimer des doutes à ce sujet notamment pour les raisons suivantes :
D’une part, la très grande majorité des prestataires de services financiers respectent d’ores et déjà les normes les plus strictes en matière de déontologie. Si tel n’était pas le cas, il y a bien longtemps que les clients auraient désertés les établissements suisses.
D’autre part, la mise en place d’un organisme de médiation, d’un audit annuel et de la prise en charge des frais de procès par le prestataire (y compris en cas de gain de cause), va engendrer des coûts très importants contraignant les petits établissements à disparaître ou à se regrouper avec d’autres. Onyx & Cie SA craint que le mal ne soit porté au PME qui constituent pourtant le véritable tissus économique suisse. Par ailleurs, est-il vraiment souhaitable de n’avoir que des grands groupes du type UBS ou Credit Suisse ?
Enfin, on soulignera que la LSFin et la LEFin visent en réalité à reprendre les normes internationales, notamment celles de l’Union européenne dans l’espoir d’obtenir pour les prestataires de services financiers suisses un accès à ce marché. Au vu des tensions actuelles entre l’Union européenne et la Suisse on peut très fortement douter qu’un tel accès soit possible malgré l’adoption de ces deux textes.
Dès lors la mise en place de cette « usine à gaz » est-elle vraiment souhaitable compte tenu de la crise financière actuelle ?
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