Depuis quelques années, les Belges fortunés multiplient les constructions juridiques visant à échapper à l’impôt, que ce soit par le biais de trusts ou de sociétés établis dans des pays où ils sont peu, voire pas, imposés. L’administration fiscale a décidé de leur déclarer la guerre.
En juillet 2013 déjà, le Gouvernement belge précédent avait introduit une nouvelle obligation de « reporting ». Les personnes physiques, fondatrices ou bénéficiaires de constructions juridiques (trusts ou fondations ainsi que certaines sociétés offshores) devaient, depuis l’exercice 2014, mentionner ces structures (uniquement) dans leur déclaration fiscale. A la même époque, un projet de loi qui fut abandonné par la suite, était en discussion afin de décourager l’utilisation de tels montages en les considérant comme fiscalement transparents.
Le répit fut de courte durée et le dossier revint rapidement sur la table avec le nouveau gouvernement, puisque la Loi-programme du 10 août 2015 fut adoptée par le Parlement le 24 juillet de la même année. Celle-ci instaure un régime de taxation spécifique (communément appelé « taxe Caïman ») pour les revenus qui sont perçus ou attribués par une construction juridique.
La nouvelle loi reprend le projet avorté en taxant les revenus reçus par de telles structures soit dans les mains des bénéficiaires résidant en Belgique (en cas de distributions), soit directement auprès du fondateur.
Cette nouvelle règlementation est effective pour l’exercice 2016, ce qui signifie que tous les revenus reçus par la structure « offshore » depuis le 1er janvier 2015 sont soumis à la taxe de transparence.
Le 26 décembre 2015, une modification de la loi fut adoptée apportant certaines clarifications bienvenues à la taxe. Publiée le 30 décembre 2015, elle est également rétroactive à l’exercice 2016.
ONYX & Cie SA vous présente ce régime ainsi que les dernières nouveautés entrées en vigueur au début de l’année.
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1. Les structures visées par la taxe Caïman
Les constructions touchées par la taxe Caïman sont les suivantes :
- Structures de catégorie A :
La catégorie A vise les relations juridiques créées par un acte du fondateur ou par une décision judiciaire, par lequel ou laquelle des biens ou des droits sont placés sous le contrôle d’un administrateur afin de les administrer dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires ou dans un but déterminé.
Cette relation juridique présente les caractéristiques suivantes :
– le titre de propriété relatif aux biens ou droits en question est établi au nom de l’administrateur ou d’une autre personne pour le compte de l’administrateur ;
– les biens de la construction juridique constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine de l’administrateur ;
– l’administrateur est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes de la construction juridique et les règles particulières imposées à l’administrateur par la loi.
On l’aura compris, il s’agit de structures dépourvues de la personnalité juridique comme les trusts et les relations fiduciaires. Pour les fondations de famille, qui sont d’un point de vue stricto sensu des entités juridiques distinctes, la question est plus délicate mais elles ne tombent en principe pas dans cette catégorie.
- Structures de catégorie B
La seconde catégorie concerne les entités qui possèdent la personnalité juridique (sociétés, associations, fondations, etc.) et qui, en vertu de la législation de la juridiction dans laquelle elles sont établies, ne sont pas soumises à un impôt sur le revenu ou cas échéant à une taxation inférieure à 15%, déterminée conformément aux règles applicables pour établir l’impôt belge sur les revenus correspondants.
Un Arrêté royal du 23 août 2015 énumère les structures concernées, mais cette liste n’est pas limitative et la preuve du contraire peut être apportée. Font notamment partie la Fondation de Suisse, l’International Business Company des Bahamas, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et du Panama, l’Offshore Company des Emirats Arabes Unis, la Private Limited Company de Hong Kong, la Company des BVI, la Stichting Particulier Fonds des Antilles néerlandaises, la Foundation et la Company de Jersey et de Guernesey, la Limited Liability Company du Delaware et celle du Wyoming.
Les fonds de placement collectif publics ou institutionnels, les fonds de pension de même que les sociétés cotées en bourse ne constituent pas des constructions juridiques à certaines conditions.
Une nouvelle mesure anti-abus a toutefois été introduite dans la loi de décembre 2015. La taxe Caïman est dorénavant applicable à ces organismes si « les droits sont détenus par une personne, ou plusieurs personnes liées entre elles, le cas échéant considéré distinctement par compartiment ». C’est le cas lorsque :
– « une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, exercent le contrôle sur une autre personne morale, telle que visée à l’article 5 du Code des sociétés, ou,
– ces personnes sont parents ou alliés jusqu’au quatrième degré, ou,
– ces personnes sont mariées entre elles, cohabitent légalement, ou ont leur domicile ou leur siège de la fortune établi à la même adresse ».
D’après le commentaire de la norme, une interprétation large de la notion de personnes « liées entre elles » sera retenue et inclura des cas non énumérés ci-dessus.
« La taxe Caïman s’attaque à toutes les structures juridiques (trusts, fondations, sociétés offshores) mises en place dans des paradis fiscaux, bénéficiant d’une non-imposition ou étant faiblement imposées. »
Les personnes morales ayant leur siège dans l’Espace économique européen (EEE) ne sont pas concernées par la taxe Caïman à l’exception d’une liste d’entités énumérées limitativement, également dans un Arrêté royal du 23 août 2015. Font notamment partie de cette liste, les Anstalt et Stiftung liechtensteinoises ainsi que les SPF luxembourgeoises. Depuis décembre 2015, figure également la Fondation patrimoniale luxembourgeoise, bien que ce type d’entité n’existe pas encore à l’heure actuelle.
Par Décret royal du 18 décembre 2015 qui remplace celui du 23 août 2015, la liste limitative des constructions juridiques de la catégorie B, bien que situées dans l’EEE, soumises à la taxe Caïman a été élargie.
Ils s’agit notamment des sociétés dites « hybrides » soit celles « qui ne sont pas considérées transparentes par le droit fiscal belge, mais bien considérées comme fiscalement transparentes conformément au droit fiscal de l’Etat membre de l’Espace économique européen dans lequel ces sociétés sont établies ». Il en résulte que la structure n’est ni taxée en Belgique, ni dans l’Etat de siège (le but est ainsi d’éviter la double non-imposition). Dans le viseur se trouve notamment la société en commandite simple (SCS) de droit luxembourgeois.
A noter que ces entités sont taxées uniquement dans la mesure où elles reçoivent des revenus d’origine belge qui ne sont pas taxables en Belgique.
Les sociétés cotées, les OPC publics et institutionnels, les fonds de pension situés dans l’EEE dont les droits sont détenus par une ou plusieurs personnes liées entre elles, le cas échéant considéré distinctement par compartiment font également partie de cette nouvelle liste. Sont ainsi aussi visées les SICAV luxembourgeoises.
A noter qu’une structure de la catégorie A ou B n’est pas soumise au régime de la taxe Caïman si l’entité exerce une activité économique effective dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle dans le lieu où cette entité est établie ou dans le lieu où elle dispose d’un établissement stable, et que l’ensemble des locaux, du personnel et de l’équipement dont cette entité dispose dans le lieu où elle est établie, est en proportion avec l’activité économique précitée que cette entité y exerce.
Cette exception n’est toutefois possible qu’à la condition que la construction juridique se trouve dans un Etat de l’EEE ou avec lequel un accord d’échange d’informations a été conclu.
Par ailleurs, avec la nouvelle loi du 26 décembre 2015, ces constructions juridiques devront être déclarées à l’impôt des personnes physiques quand bien même elles sont exclues du champ d’application de la taxe Caïman. Les autorités fiscales pourront ainsi demander dans un deuxième temps au contribuable de prouver que la structure déclarée répond aux conditions d’exception légale. Il se produit donc un renversement du fardeau de la preuve qui impose au contribuable et non plus à l’administration fiscale d’établir que la structure est exemptée d’impôts.
2. Les personnes visées
En règle générale, les revenus perçus par la construction juridique sont imposables dans le chef du fondateur, qui est un résident belge, comme si celui-ci les recueillait directement (imposition par transparence).
La notion de fondateur est très large : elle comprend en premier lieu la personne physique ou morale qui a constitué la structure, c’est-à-dire celle qui a apporté des biens et des droits (fondateur dit « originel »).
Sont également considérées comme fondateurs, les personnes physiques qui ont hérité directement ou indirectement du fondateur « originel » ou ceux qui hériterons de lui, après son décès, sauf si ses héritiers établissent qu’ils ne pourront pas eux-mêmes ou leurs successibles, bénéficier à aucun moment et ni d’une quelconque manière, d’un avantage octroyé par la construction juridique visée.
En présence de plusieurs fondateurs, chacun est imposable en proportion de son apport dans la structure juridique ou, à défaut de pouvoir établir celle-ci, chacun pour une part identique.
Pour les héritiers « fondateurs », ils sont imposés en proportion de leurs parts dans la construction juridique ou, à défaut de pouvoir établir celles-ci, en proportion de leurs droits dans la succession du fondateur auquel ils se substituent.
S’agissant du fondateur des entités de la catégorie B, on vise les personnes physiques ou morales qui détiennent les droits juridiques des actions ou parts ou les droits économiques sur les biens et les capitaux détenus par la construction juridique visée. Les mêmes règles et exceptions de la catégorie A s’appliquent aux « héritiers ».
« La taxe Caïman crée une fiction selon laquelle les revenus reçus par la construction juridique sont directement taxés dans le chef du fondateur, comme s’il avait perçu ceux-ci directement. »
Le fondateur peut néanmoins être libéré de l’impôt s’il apporte la preuve que les revenus perçus par la construction juridique ont été payés ou attribués à un tiers bénéficiaire. Tous les moyens de preuve du droit commun sont admis, sauf le serment.
Par tiers bénéficiaire, on entend une personne physique ou une personne morale qui bénéficie à un moment et d’une manière quelconque, de tout avantage octroyé par la construction juridique.
Le tiers bénéficiaire doit toutefois être un résident de Belgique ou établi dans un Etat membre de l’Espace économique européen ou dans un Etat avec lequel la Belgique a conclu une convention de double imposition ou un accord en vue de l’échange de renseignements en matière fiscale.
Pour les tiers bénéficiaires résidant en Belgique, les revenus perçus par la construction juridique sont ainsi imposables dans leur chef, en lieu et place du fondateur.
3. Le régime d’imposition applicable
On l’a vu, les revenus de la structure sont en principe taxés soit dans les mains des fondateurs (au sens large), soit auprès des tiers bénéficiaires.
Toutefois, il convient de tenir compte des règles suivantes : s’agissant des trusts, les distributions sont imposables uniquement dans le chef des tiers bénéficiaires si celles-ci se fondent sur du revenu acquis durant l’année en cours. Les distributions de revenus accumulés durant les années antérieures ne sont pas taxables puisque le revenu a déjà été imposé dans le chef du fondateur. Les distributions basées sur du revenu antérieur au 1er janvier 2015 ne sont donc pas taxables.
Il s’agit là d’une différence fondamentale avec le régime applicable aux sociétés et aux fondations.
En ce qui concerne les sociétés, les actionnaires qui perçoivent des dividendes de sociétés étrangères sont, depuis le 1er janvier 2016, taxés à hauteur de 27%.
En sus, les tiers bénéficiaires, qui perçoivent un dividende sur la base de revenus réalisés pendant l’année courante ou antérieurement feront l’objet de la taxe Caïman à moins que les revenus en question n’aient déjà été imposés.
Les distributions fondées sur du revenu antérieur à 2015 sont donc taxables entre les mains des tiers bénéficiaires.
La même règle s’applique aux fondations.
Ainsi, des cas de double imposition ne sont pas à exclure, notamment lorsque la construction juridique ne redistribue pas les revenus recueillis par elle l’année même de leur perception.
En vue de limiter ce risque, la loi précise que ne sont pas imposables les revenus attribués par une construction juridique de la catégorie B et recueillis par un fondateur ou un tiers bénéficiaire, dans l’éventualité et dans la mesure où le fondateur ou le bénéficiaire établit que ces revenus sont constitués de revenus perçus par la construction juridique qui ont déjà subi leur régime d’imposition en Belgique dans le chef de ce fondateur ou de ce bénéficiaire.
Les fondateurs de constructions juridiques appartenant à la catégorie B peuvent être exonérés de la taxe Caïman s’ils démontrent que la structure est soumise à un impôt sur le bénéfice d’au moins 15%, selon les règles d’imposition applicables en Belgique. Un examen très attentif de la taxation de la structure dans l’Etat du siège est donc nécessaire.
« Le régime de la transparence ne s’applique pas si l’entité peut démontrer faire l’objet d’une taxation à hauteur de 15% au minimum sur ses revenus. »
Des exceptions sont également prévues pour les revenus réalisés par la construction par l’intermédiaire d’établissements stables ou au travers de biens immobiliers situés dans des pays tiers avec lesquelles la Belgique est liée par des conventions de double imposition.
4. En cas de dissolution
Lorsqu’une entité juridique de la catégorie B distribue des revenus dans le cadre de sa dissolution ou du transfert total ou partiel des actifs sans contrepartie équivalente (par exemple à l’occasion d’une donation), aucun nouvel impôt n’est dû si et dans la mesure où le fondateur ou les tiers bénéficiaires établissent que ces versements sont constitués de revenus perçus par des constructions juridiques qui ont déjà subi le régime d’imposition en Belgique. Dans le cas contraire, les distributions seront taxables (27% depuis le 1er janvier 2016) au titre de dividendes.
Le même principe s’applique en cas de transfert de siège de l’entité.
Par « constructions juridiques qui ont déjà subi le régime d’imposition en Belgique », il faut entendre les revenus de la structure imposables par transparence depuis le 1er janvier 2015, même s’ils n’ont pas effectivement été imposés.
En d’autres termes, il y aura « rattrapage » de l’impôt sur les revenus perçus par l’entité avant 2015 au moment de la liquidation de cette dernière (dans la mesure où ils n’ont pas été distribués avant 2015 bien entendu).
Par ailleurs, l’impôt de liquidation ne sera dû que sur ce qui excède le capital apporté à cette personne morale (aucune taxe ne sera perçue sur le boni de liquidation si les réserves qui sont présentes dans la structure juridique au moment de la liquidation ont déjà été soumises au régime d’imposition en Belgique). Si ce capital apporté n’était pas déclaré, ces fonds ne subiront pas l’impôt de liquidation mais devront en premier lieu être régularisés selon la procédure de régularisation.
La même règle s’applique aux fondations.
S’agissant des trusts, les revenus accumulés avant le 1er janvier 2015 et distribués lors de la liquidation de la structure ne sont pas taxables. Il s’agit d’une différence majeur entre la catégorie A et B. Il est très étonnant de constater cette différence de traitement entre les trusts et les fondations qui sont pourtant deux institutions très similaires.
La situation peut se compliquer dans le cas où le trust détient une « underlying company ». En effet, si la distribution des actions de la société aux bénéficiaires ne devrait pas faire l’objet de la taxe Caïman, il en va différent de la liquidation subséquente de la société.
5. Nouvelles obligations de reporting
La nouvelle loi du 26 décembre 2015 introduit de nouvelles obligations de reporting.
Il ne suffit en effet plus de mentionner dans la déclaration d’impôt des personnes physiques (soit celle des fondateurs et des tiers bénéficiaires) l’existence d’une construction juridique.
Il faut dorénavant également indiquer le nom complet, la forme juridique, l’adresse et le cas échéant le numéro d’identification de la construction juridique et, pour les structures de la catégorie A (trusts, etc.), le nom et l’adresse du trustee.
Ces nouvelles mesures visent à permettre aux autorités belges d’obtenir plus rapidement des informations du pays dans lequel l’entité est située et donc de lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale.
6. Autres règles anti-abus
Le texte de loi contient également des règles anti-abus rendant inefficaces certains agissements visant à contourner la taxe Caïman ou la taxation du boni de liquidation.
Ainsi, ne peut pas être opposée à l’administration, toute modification de l’acte constitutif d’une entité de la catégorie B en vue de la transformation en une construction juridique de la catégorie A (ou vice versa) afin d’échapper à l’imposition des revenus.
De plus, les actes juridiques d’une construction juridique ne sont pas opposables aux autorités belges, si ces actes ont comme but d’éviter le traitement transparent de la structure.
7. Conclusion
Depuis le 1er janvier 2015, les résidents belges possédant un statut de fondateur ou de bénéficiaire d’un trust, d’une fondation ou d’une société offshore sont soumis au régime de la transparence. Cela signifie que les revenus provenant de ce type d’entité sont directement imposés dans leur chef même en l’absence de versements de la construction juridique.
La dernière révision législative a étendu la quantité d’informations à donner aux autorités fiscales belges et restreint les possibilités d’échapper à l’impôt. Toutefois, on peut se demander si la taxation des entités situées dans l’Espace économique européen est compatible avec le droit européen ainsi qu’avec les accords de double imposition signés avec certains pays.
En tous les cas, il est important pour le contribuable belge de revoir sans attendre l’utilisation de constructions juridiques visées par la taxe Caïman.
Avec l’arrivée de l’échange automatique d’informations, il ne sert à rien d’essayer de dissimuler ses avoirs à l’étranger. L’ultime solution consiste à déménager à l’étranger et à se soumettre à la fiscalité plus favorable d’un autre pays. Peu de personnes sont toutefois enclines à entreprendre cette démarche.
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