Introduction

Le droit suisse des successions est entré en vigueur au 1er janvier 1912 et n’a pas fait l’objet d’une révision en profondeur depuis lors. Conscient de la nécessité de dépoussiérer le livre troisième du Code civil suisse (articles 457 à 640 CC, RS 210), le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de révision de la Loi en date du 4 mars 2016. Le résultat de la consultation a été publié en mai 2017. Le Conseil fédéral a pris acte des remarques des milieux intéressés et a décidé de maintenir le cap avec un certain nombre d’aménagements. Deux projets dans ce sens seront soumis au Parlement prochainement (le premier message devrait paraître d’ici la fin de l’année).

L’objectif visé par la réforme est d’adapter le droit des successions aux modèles familiaux actuels (familles recomposées, concubinage, etc.) et aux changements de société (allongement de l’espérance de vie, mécanismes de protection sociale étendus, etc.). Plus concrètement, il est question d’assouplir le droit successoral en favorisant le pouvoir décisionnel du de cujus. La mesure phare de la réforme vise ainsi à supprimer ou à réduire les réserves héréditaires en faveur des proches, augmentant ainsi automatiquement la quotité disponible. Il est également prévu d’instaurer un « legs d’entretien » pour les concubins et les enfants mineurs de ce dernier. Enfin, diverses modifications techniques sont prévues.

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1. Suppression ou réduction du montant des réserves héréditaires

Contrairement au droit anglo-saxon, le droit suisse des successions, qui adopte une approche germanique, prévoit que le défunt n’est pas entièrement libre de décider du sort de ses biens après sa mort. Ce principe s’exprime au travers du mécanisme des réserves héréditaires qui restreignent la liberté de disposer du de cujus au détriment de certaines catégories d’héritiers (conjoint, enfants, etc.).

L’idée sous-jacente à ce principe est que le patrimoine doit rester dans la famille et que les proches du défunt ont un droit naturel à l’héritage, que celui-ci ne peut pas abolir.

Pour rappel, la part légale représente la part de la succession revenant automatiquement à l’héritier en l’absence de testament. La réserve légale correspond quant à elle à la fraction de la part légale dont un héritier ne peut être privé par testament. Enfin, la quotité disponible constitue la part à la libre disposition du testateur dans la succession.

Selon le droit des successions en vigueur, la part légale du conjoint survivant (ou du partenaire enregistré) est de la totalité s’il hérite seul. Il en va de même des enfants, des parents et des frères et sœurs s’ils sont les seuls héritiers (la part est ensuite toujours divisée en parts égales entre les membres de ces parentèles). En présence d’un conjoint et de descendants, cette part est de ½ pour le conjoint survivant et de ½ pour les descendants. Dans l’hypothèse d’un conjoint en concours avec les parents, la répartition est de ¾ et ¼. Enfin, le conjoint qui hérite avec les frères et sœurs du de cujus reçoit également les ¾. Il n’est pas prévu de modifier ces répartitions dans la révision du Code civil.

La réserve des descendants est aujourd’hui de ¾ de leur droit de succession. Celle du conjoint et des parents de ½. Il n’y a pas de réserve héréditaire pour les frères et sœurs.

Sur la base de ce qui précède on peut dresser le tableau suivant :

« Le projet de diminuer la réserve héréditaire en faveur du conjoint survivant (à ¼) est contesté par une partie des milieux intéressés. »

 

La répartion actuelle des successions en droit suisse

Tableau récapitulatif des parts légales, des réserves et de la quotité disponible selon le droit actuel.

 

L’avant-projet prévoit de renforcer la liberté de décision du de cujus en supprimant la réserve héréditaire des parents, en réduisant celle des enfants à ½ et celle du conjoint à ¼. Il en résultera ainsi les conséquences suivantes :

Récapitulatif du nouveau droit suisse des successions

Répartition des parts légales, des réserves et de la quotité disponible selon le nouveau droit.

A noter que la quotité disponible de ¼ seulement octroyée dans le cadre de l’usufruit accordé au conjoint survivant (sur l’ensemble des biens de la succession dévolu aux enfants communs) demeurera inchangée (article 473 CC), ceci afin de ne pas prétériter encore plus les descendants.

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La proposition de réduire les réserves héréditaires en faveur des descendants a été plutôt bien accueillie par les milieux intéressés. La diminution de la réserve du conjoint survivant est toutefois plus contestée. En particulier, certains ne comprennent pas pourquoi l’avant-projet entend diminuer dans une plus grande mesure la réserve du conjoint ou du partenaire survivant (-1/2) que celle des enfants (-1/3). Un ajustement du Conseil fédéral va sans doute être décidé dans ce sens.

De notre point de vue, nous ne pouvons que saluer toute mesure offrant au disposant une plus grande marge de manœuvre pour attribuer les biens de sa succession. La mesure envisagée permettra d’éviter de recourir à des mécanismes visant à éluder la réserve (trusts, fondations, etc.) et de tenir compte plus largement des enfants du conjoint ou en présence d’une union libre. Par ailleurs, cela tendra à faciliter la transmission des entreprises où la division est difficile. Nous regrettons toutefois que la fiscalité ne soit pas harmonisée dans ce sens (compétence cantonale). En effet, les taux d’imposition sur les successions demeurent très élevés pour les tiers (concubins, enfants non communs, etc.).

Il conviendra d'adapter sa situation successorale selon le nouveau droit suisse des successions.

Une plus grande liberté dans la transmission du patrimoine aux générations suivantes.

2. Instauration d’un legs d’entretien en faveur du partenaire de vie de fait et du mineur soutenu financièrement

En l’état actuel du droit, le compagnon ou la compagne de fait (le concubin) n’est ni un héritier réservataire, ni même un héritier légal. Selon la conception suisse, il est exclu de mettre sur un pied d’égalité en droit des successions les concubins et les couples mariés. Ce dernier ne participe à la succession seulement si le de cujus a pris des dispositions en ce sens.

L’avant-projet prévoit toutefois l’octroi, sur ordre du juge, d’un « legs d’entretien » (soit l’attribution d’une part de la succession malgré l’absence de toute disposition pour cause de mort) en faveur du concubin et de l’enfant mineur dans certains cas de rigueur, afin de maintenir un niveau de vie convenable et si cela est raisonnablement exigible (la situation des héritiers légaux devra ainsi être prise en considération).

La demande devra être déposée dans les 3 mois dès la connaissance du décès et pourra être versée si le concubin a fait une vie commune de couple avec le de cujus pendant une période minimum de 3 ans et lui a apporté une contribution importante (on vise par exemple le cas où l’un des partenaires a réduit son activité lucrative pour élever les enfants du couple ou s’occuper du de cujus malade et qu’en raison du décès ce dernier il se trouve dans une situation financière difficile).

S’agissant du mineur, il faudra que le défunt ait fait vie commune avec ce dernier pendant 5 ans au minimum, qu’il ait reçu du de cujus un soutien financier que ce dernier aurait continué de fournir cette assistance s’il n’était pas décédé.

Le legs pourra revêtir la forme d’un usufruit ou d’une rente. La disposition sera de droit impératif.

L’accueil réservé à cette proposition est très mitigé par les milieux de la droite car elle constitue une atteinte à la liberté de disposer. Nous relevons de notre côté que la règle sera très difficile à mettre en œuvre (notions juridiques indéterminées, problèmes de preuves nécessaires à l’établissement des faits, appréciation subjective du juge, etc.) et qu’il va indubitablement se produire une augmentation des litiges devant les tribunaux (parfois même abusifs). Par ailleurs, la question fiscale n’est également pas réglée.

3. Suppression de la réserve héréditaire du conjoint (ou du partenaire enregistré) en cas de décès pendant la procédure de divorce (ou de dissolution)

D’après le droit actuel sur les successions, en cas de décès de l’un des époux alors qu’une procédure de divorce est pendante, le conjoint survivant (ou le partenaire enregistré) conserve non seulement sa qualité d’héritier légal envers son époux, mais également sa qualité d’héritier réservataire. En effet, les époux cessent d’être les héritiers légaux l’un de l’autre uniquement lorsque le jugement de divorce (ou de dissolution) est entré en force.

Cette situation peut bien évidement conduire à des abus, notamment lorsque l’un des époux décide de prolonger artificiellement la procédure contre son conjoint dans l’espoir de son décès, afin d’hériter. Par ailleurs, en règle générale, lorsqu’une procédure de divorce est en cours, il est peu probable qu’un époux souhaite que son conjoint hérite de celui-ci.

La nouvelle loi prévoit ainsi de supprimer la réserve héréditaire du conjoint survivant (ou du partenaire enregistré) lorsqu’au moment du décès, une procédure de divorce ou de dissolution du partenariat est pendante et a été introduite (ou poursuivie) sur requête commune des époux (un accord de principe suffit) ou sur demande unilatérale de l’un d’eux plus de deux ans avant le décès (on vise dans cette dernière hypothèse uniquement les cas où la procédure serait inhabituellement longue).

A noter que la qualité d’héritier légal du conjoint survivant demeurerait, il appartiendra donc à l’époux de supprimer celle-ci par testament.

« Dans le cadre d’une procédure de divorce, l’avant-projet prévoit que seule la réserve héréditaire du conjoint survivant est supprimée et non sa part successorale. Le conjoint qui souhaite exclure son époux de la succession devra donc rédiger un testament. »

Cette proposition a été accueillie plutôt favorablement dans la consultation, elle sera sans doute reprise dans le projet. Si nous saluons cette modification (cela permettra aux conjoints de simplifier leur planification successorale sans avoir à recourir à des instruments patrimoniaux comme des trusts ou des fondations) nous sommes en revanche d’avis que le délai de deux ans en cas de divorce sur requête unilatérale est injustifié. A notre sens, la perte de la réserve du conjoint survivant devrait être effective dès le dépôt de la requête puisque les époux auront généralement dans cette hypothèse déjà vécu séparés pendant deux ans.

4. Autres mesures du droit des successions

D’autres modifications ou innovations, parfois complexes, ont été proposées (partage de la prévoyance (LPP et 3ème pilier a), mesure contre la captation d’héritage, création d’un testament d’urgence audiovisuel, surveillance des exécuteurs testamentaires, etc.). Ces mesures visent à combler des lacunes législatives, trancher des querelles doctrinales et apporter des clarifications bienvenues au droit actuel.

Si elles ont été plutôt bien acceptées, certains aspects techniques doivent encore être résolus.

Le Conseil fédéral a dès lors décidé de séparer les propositions dites « politiques » (réduction de la réserve, legs d’entretien, etc.) de celles dites « techniques ». Ainsi, ces dernières seront traitées dans un second message, dont l’approbation est prévue en 2019.

Plus de liberté dans la préparation de son testament.

Si la nouvelle loi est approuvée, chacun devra revoir sa planification successorale, y compris ses testaments.

Nous relevons toutefois dans l’avant-projet l’introduction d’un nouvel article 601a CC qui prévoit un droit d’information élargi à l’encontre de tiers ayant géré, possédé ou reçu des valeurs du défunt (y compris à l’encontre de personnes qui ne se trouvaient pas dans une relation contractuelle avec ce dernier), à quiconque qui peut faire valoir une prétention successorale. On vise ici principalement les informations détenues par les banques, les trustees et même les avocats auxquels le secret professionnel n’est pas opposable dans cette hypothèse.

De notre point de vue, le secret professionnel de l’avocat, fondamental dans notre société, devrait demeurer intact et il ne devrait pas faire l’objet d’une exception en droit des successions. On ne peut en effet exclure des conflits d’intérêts entre le défunt et ses héritiers. L’avocat ou le notaire ne devrait être délié de son secret qu’au cas par cas sur autorisation de l’autorité de surveillance. Dans le cas contraire, c’est tout le lien de confiance entre l’avocat et son client qui pourrait être mis à mal et au final nuire à la planification successorale du de cujus.

On relèvera encore que le Conseil fédéral examine actuellement la possibilité d’une modification de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP, RS 291) afin de rendre le droit suisse compatible avec le droit européen suite à l’entrée en force du nouveau Règlement UE sur les successions (n°650/2012) en 2015.

Conclusion

La révision du droit des successions proposée est centrée sur la réduction de la réserve légale, réduction qui laissera au de cujus une plus grande marge de manœuvre pour disposer de ses biens. Cette vision est à saluer, car au final c’est bien le défunt qui est la personne la mieux placée pour juger combien un héritier potentiel lui est proche.

En revanche, nous sommes plus sceptiques s’agissant du « legs d’entretien » dans la mesure où il sera très difficile à mettre en œuvre en pratique. Nous craignons que cette mesure n’apporte au final plus de problèmes que de solutions.

Enfin, nous regrettons que le Conseil fédéral n’ait pas décidé d’introduire un nouveau droit sur les trusts et les fondations de famille dans la réforme. Cela aurait permis d’éviter que les individus ne contournent le droit suisse des successions par le recours à des structures établies et soumises au droit étranger. Enfin, nous maintenons que les aspects fiscaux du droit des successions devraient être harmonisés à l’échelon national même si le peuple s’est déjà exprimé contre cette idée à plusieurs reprises.