par Lorenzo F. CROCE, avocat aux barreaux de Genève et de Singapour, LL.M., TEP

Introduction

Par courrier du 23 juillet 2015, les autorités fiscales néerlandaises ont adressé à l’Administration Fédérale des Contributions (AFC), une demande d’assistance administrative selon l’article 26 de la Convention du 26 février 2010 entre la Suisse et les Pays-Bas en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu (CDI CH-NL). Il a été demandé de fournir des informations concernant des personnes physiques dont le nom n’est pas connu et qui, durant la période du 1er février 2013 au 31 décembre 2014, remplissent tous les critères suivants :

1. La personne était titulaire d’un compte auprès d’UBS Switzerland AG ;

2. Le titulaire du compte disposait (selon la documentation bancaire interne) d’une adresse de domicile aux Pays-Bas ;

3.  UBS Switzerland AG a envoyé au titulaire du compte un courrier l’informant que, si le formulaire « Fiscalité de l’épargne de l’UE – Autorisation de divulgation volontaire » n’était pas signé et retourné à la banque dans le délai imparti ou si la conformité fiscale de la personne concernée n’avait pas pu être prouvée d’une autre manière, cela conduirait la banque à résilier la relation d’affaire ;

4. En dépit de la remise de ce courrier, le titulaire n’a pas fourni de preuves suffisantes à la banque de sa conformité fiscale. 

Ont été exclus de la demande de transmission notamment les comptes pour lesquels le titulaire a fourni la preuve de la divulgation volontaire du compte en vertu de l’accord sur la fiscalité de l’épargne du 26 octobre 2004 entre la Suisse et l’UE ou la preuve que le titulaire du compte a participé au programme néerlandais de divulgation volontaire (Voluntary Disclosure Program) ou encore la preuve de la déclaration dudit compte au fisc des Pays-Bas. L’AFC a décidé d’entrer en matière sur la requête mais un client hollandais d’UBS a fait recours. Le Tribunal administratif fédéral vient de trancher en faveur du recourant (arrêt A-8400/2015 du 21 mars 2016).

Explications de l’arrêt

Pour rappel, l’accord sur la fiscalité de l’épargne conclu entre la Suisse et l’UE, entré en vigueur le 1er juillet 2005 et remplacé dès 2017/2018 par l’accord sur l’échange automatique de renseignements en matière fiscale (EAR), prévoit une retenue d’impôt à la source de tous les intérêts versés par un agent payeur se trouvant en Suisse à une personne physique ayant son domicile fiscal dans un Etat membre de l’UE. Les personnes étrangères qui touchent des intérêts peuvent choisir entre la retenue d’impôt et une déclaration aux autorités fiscales de leur pays (communication volontaire). Ces dernières années, avec l’introduction de l’EAR, de plus en plus de clients ont choisi la communication volontaire (forte augmentation des déclarations depuis 2010, de 38 000 environ à 150 000).

La CDI CH-NL prévoit à l’article 26 :

« Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales, dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. »

Sans surprise, la CDI CH-NL reprend mots pour mots le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE.

Le protocole, qui fait partie intégrante de la CDI CH-NL, stipule entre autre que :

« b) Il est entendu que les autorités fiscales de l’Etat requérant fournissent les informations suivantes aux autorités fiscales de l’Etat requis lorsqu’elles formulent une demande de renseignements fondée sur l’art. 26 de la Convention :

(i) des informations suffisantes pour l’identification de la personne ou des personnes faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête, en particulier le nom et, si disponible, l’adresse, le compte bancaire et tout autre élément de nature à faciliter l’identification de la personne, comme la date de naissance, l’état-civil ou le numéro de contribuable ;

[…]

(v) le nom et, dans la mesure où elle est connue, l’adresse de toute personne en possession des renseignements demandés.

c) La référence aux renseignements vraisemblablement pertinents a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible, sans qu’il soit pour autant loisible aux Etats contractants de procéder à une « pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé. Si le par. b prévoit des critères de procédure importants ayant pour but d’éviter la « pêche aux renseignements », les sous-paragraphes (i) à (v) doivent toutefois être interprétés de façon à ne pas empêcher l’échange effectif de renseignements. »

Par son arrêt du 21 mars dernier, le Tribunal administratif fédéral a refusé d’accorder l’entraide au motif que la CDI CH-NL ne permet pas une demande groupée sans indication du nom de la personne visée. Selon les juges de St-Gall, le protocole est clair et ne peut s’interpréter différemment. Pour l’AFC en revanche, la CDI CH-NL n’est pas limpide et le texte « en particulier, le nom… » ne signifie pas « nécessairement, le nom ».

L’AFC avait également fondé sa décision d’accorder l’entraide sur la base de l’article 1 de l’arrêté fédéral du Parlement suisse concernant l’approbation de la CDI CH-NL du 17 juin 2011 qui prévoit que la Suisse donne suite à une demande d’assistance administrative lorsqu’il en ressort qu’il ne s’agit pas d’une « pêche aux renseignements » et que les Pays-Bas identifient le contribuable, cette identification pouvant être établie par d’autres moyens que le nom et l’adresse. Un accord amiable, signé entre les deux pays le 31 octobre 2011, prévoit exactement la même chose.

En réponse, le Tribunal administratif fédéral estime tout d’abord que l’accord amiable ne peut pas modifier, ni compléter la Convention conclue entre les deux pays. Il n’est qu’un outil interprétation et doit être en l’espèce écarté au vu de sa contradiction avec le texte clair du protocole. S’agissant des débats parlementaires et de l’arrêté fédéral du Parlement, qui sont postérieurs à la conclusion de la CDI CH-NL et auxquels les Pays-Bas n’ont pas participé, ils ne constituent pas un moyen d’interprétation valable en l’espèce au regard de la Convention de Vienne sur le droit des traités. En effet, l’article 32 de ladite Convention permet de faire appel à des moyens complémentaires d’interprétation afin, soit de confirmer le sens du traité, soit de le déterminer lorsqu’il est ambigu ou obscur ou qu’il conduit à un résultat manifestement absurde ou déraisonnable, ce qui n’est pas le cas ici.

S’agissant du Modèle OCDE de Convention fiscale et de son commentaire (la CDI CH-NL reprend exactement le libellé du Modèle OCDE), le Tribunal administratif relève que ce dernier ne contient aucune règle explicite sur les demandes de groupées avant juillet 2012, date de sa mise à jour. Il a laissé ouverte la question de savoir s’il l’introduction de la demande groupée dans le commentaire constitue un véritable élargissement des demandes d’entraide ou une simple clarification de l’interprétation de l’article 26 MC-OCDE. En tout état de cause, selon les juges, le texte clair du protocole, adopté avant le 17 juillet 2012, ne laisse pas de place à une interprétation à l’aide du commentaire de l’OCDE. Il constitue également un moyen complémentaire d’interprétation au sens de l’article 32 de la Convention de Vienne, inapplicable en l’espèce.

Le Tribunal a enfin écarté l’application de la loi sur l’assistance administrative fiscale (LAAF) et de son ordonnance (OAAF) au motif que le droit international prime sur le droit national qui ne saurait s’appliquer en l’espèce. Pour rappel, l’article 1 al. 2 OAAF réserve expressément les dispositions dérogatoires des conventions internationales.

Le Ministère des finances au Pays-Bas (demande groupée)

Le fisc néerlandais a fait la première demande groupée non-américaine.

Commentaires sur la demande groupée

De notre point de vue, si l’on peut saluer la décision du Tribunal quant au résultat, nous estimons que les juges ont fait preuve d’une approche trop restrictive de la CDI CH-NL. L’intention des parties n’a, à priori, jamais été d’autoriser une demande groupée qu’avec l’indication du nom. D’ailleurs, est-il possible de concevoir une telle demande ?

La Convention de Vienne, qui sert d’instrument d’interprétation des CDI, prévoit qu’un traité doit en premier lieu être interprété d’après son texte mais qu’il faut également tenir compte de tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties. De même, il convient de prendre en compte tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions. Or, tant l’accord amiable que l’arrêté fédéral prévoient une identification de la personne visée par d’autres moyens que le nom et l’adresse.

Par ailleurs, le commentaire du Modèle OCDE dit que :

« […] une demande de renseignements ne constitue pas une pêche aux renseignements du simple fait qu’elle ne précise pas le nom ou l’adresse (ou les deux) du contribuable faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête.

[…] Cependant, lorsque l’État requérant ne fournit pas le nom ou l’adresse (ou les deux) du contribuable faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête, l’État requérant doit inclure d’autres informations suffisantes pour permettre l’identification du contribuable. […]

La norme de « pertinence vraisemblable » peut être satisfaite à la fois dans des cas concernant un seul contribuable (qu’il soit identifié par son nom ou par un autre moyen) et des cas concernant plusieurs contribuables (qu’ils soient identifiés par leur nom ou par un autre moyen). »

Ainsi, à notre sens, la demande groupée aurait dû être rejetée non pas en raison de l’absence du nom des contribuables mais bien parce qu’elle constitue une pêche aux renseignements inadmissible par laquelle les autorités fiscales néerlandaises cherchent à vérifier la conformité fiscale de tous leurs contribuables disposant d’un compte en Suisse, en saucissonnant notamment les établissements bancaires. Pour preuve d’ailleurs, le 3 février 2016, les Pays-Bas ont fait parvenir à l’AFC exactement la même demande d’entraide mais concernant les comptes ouverts auprès de Crédit Suisse SA cette fois (la procédure est de facto gelée jusqu’à la décision finale du Tribunal fédéral, voir ci-dessous).

Pour rappel, le commentaire OCDE (qui n’est pas juridiquement contraignant pour les Etats) précise que :

« Lorsqu’un État contractant lance, en vertu de sa législation interne, une enquête sur un groupe donné de contribuables, toute demande relative à cette enquête a typiquement pour objet d’aider « l’administration ou l’application » de sa législation fiscale interne, et est donc conforme aux exigences du paragraphe 1 pour autant qu’elle respecte la norme de « pertinence vraisemblable ». Cependant, lorsque la demande concerne un groupe de contribuables non identifiés individuellement, il sera souvent plus difficile d’établir que la demande ne constitue pas une pêche aux renseignements, dans la mesure où l’État requérant ne peut se référer à une enquête en cours sur un contribuable déterminé, ce qui suffirait, en soi, dans la plupart des cas à écarter l’idée que la demande est aléatoire ou spéculative. Dans de tels cas, il est donc nécessaire que l’État requérant fournisse une description détaillée du groupe ainsi que les faits et circonstances qui ont mené à la demande, une explication de la loi applicable et pourquoi il y a des raisons de penser que les contribuables du groupe faisant l’objet de la demande n’ont pas respecté cette loi, étayée par une base factuelle claire. »

Le commentaire OCDE précise en outre qu’une demande sur un groupe de contribuables qui se contente d’indiquer que des services financiers ont été fournis à des non-résidents et de mentionner la possibilité que ces derniers n’aient pas respecté leurs obligations fiscales ne satisfait pas la norme de pertinence vraisemblable.

Ainsi, on constate que contrairement à ce qu’exige l’OCDE (la CDI CH-NL est silencieuse sur les conditions d’admissibilité d’une demande groupée), la demande des Pays-Bas ne décrit pas un modèle de comportement ou une description d’un procédé utilisé qui constituerait un soupçon fondé de soustraction ou de fraude fiscale (par exemple l’utilisation de sociétés-écrans offshores, d’assurances-vie, de trusts, etc.). Il s’agissait pourtant d’une condition d’acceptation de l’entraide dans le dossier UBS contre le fisc américain.

En l’espèce, le fisc néerlandais fonde sa demande uniquement sur un formulaire interne d’UBS qui n’aurait pas été signé par ses clients, sans compter que l’accord sur la fiscalité de l’épargne est toujours en vigueur et que ceux-ci ont encore le choix de préférer un prélèvement à la source plutôt qu’une déclaration spontanée.

On peut dès lors se demander pourquoi le Tribunal administratif fédéral a choisi cette approche qui paraît, avouons-le, peu soutenable. Sans doute n’a-t-il pas voulu prendre la responsabilité d’ouvrir la porte de l’échange des informations sur la demande groupée, laissant le soin au Tribunal fédéral de trancher et de préciser cette notion (quand bien même c’est lui qui a introduit pour la première fois le concept de « pattern of facts » dans un arrêt du 5 mars 2009, dans l’affaire UBS contre l’IRS américain). Ce sera de toute façon le cas puisque l’AFC a manifesté son intention de faire recours.

Quoi qu’il en soit ce jugement aura des répercussions politiques et enverra un signal fort à d’autres pays en attente d’envoyer un demande groupée à la Suisse. A cet égard, il n’est pas certain que les examinateurs du Forum mondial (la Suisse est actuellement en phase 2 de l’examen des pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales) voient d’un très bon œil cette approche restrictive si celle-ci est confirmée.

Affaire à suivre donc !